#9 - Mea culpa, je retouche mes photos.

La "retouche" photo est régulièrement décriée au motif qu'elle déguiserait la réalité et permettrait de faire d'un cliché sans intérêt une photo de qualité pour quiconque saurait rapidement manipuler un logiciel dédié. Utilisée avec finesse et modération, la "retouche" permet en réalité de faire accoucher la photo brute, du visuel et de l'émotion captés par l’œil du photographe. Discussions sur cette version modernisée du développement photo.

Retouche ou développement ?

"Tu retouches tes photos ? Les vrais bons photographes font de belles photos au moment où ils les prennent". Cette petite phrase, je l'ai entendue quelques dizaines de fois et c'est la raison pour laquelle il me semble intéressant, à défaut d'être important ou nécessaire, d'expliquer la finalité de cette phase du travail photographique.
Prenons donc quelques secondes pour distinguer deux grands types d'interventions. Il y a tout d'abord la bonne vieille grosse retouche photo qui permet le plus souvent d'enlever 5 ou 10 kg au modèle pour lui faire plaisir. A noter qu'il s'agira plus rarement de la manœuvre inverse. Dans cette hypothèse, il s'agit donc de venir travestir (on n'a dit qu'on touchait aux kg, rien d'autre !) modifier des éléments de la photo dans leur nature ou leur structure pour obtenir un résultat significativement différent. Sauf pour supprimer un fil électrique disgracieux qu'EDF (ou plus précisément ERDF Enedis pour les pointilleux ;) a mal placé, pas de ça chez moi malheureux !
Il y a ensuite la retouche "développement" autrement appelée "post-traitement" ou "post-production" (post-prod pour les intimes) : choisissez le terme que vous préférez. Hier fait en chambre noire pour la photo argentique, le développement de la photo numérique est aujourd'hui réalisé via des logiciels spécialisés pas moins complexes que le développement traditionnel de la photo argentique. Si les techniques n'ont aujourd'hui plus rien en commun avec celles utilisées hier, la nature des interventions sont quant à elle restées les mêmes : optimisation du cadrage, de la lumière, des contrastes, et des couleurs.
Alors oui, les vrais bon photographes font de belles photos au moment du cliché c'est certain. Mais aujourd'hui probablement aucun d'entre eux, quasiment aucun d'entre eux d'ailleurs, ne se passe de cette étape importante du travail du photographe, non pas parce qu'elle corrigerait les défauts de la photo de base ou les erreurs du photographe, mais parce qu'elle permet d'affiner les caractéristiques structurantes de la photo brute. Par comparaison, le post-traitement est à la photo ce que le maquillage et la coiffure sont au plus joli des modèle : une étape qui permet de mettre en lumière sa beauté, son charme (ce que vous voulez de subjectif en fait) mais qui ne remplace pas les qualités originelles du modèle. Il en va de même pour la photo. Sans un cliché pensé, construit et structuré à la prise de vue, tout le post-traitement possible n'y suffira pas pour en faire une photo qui mérite qu'on s'y attarde.
Au final, peut être que le seul vrai changement qu'il convient de relever dans ce travail de post-traitement, réside dans la considération de cette réelle partie du travail effectué par le photographe qui lui permet le plus souvent de préserver l'authenticité de ce qu'il a su saisir au moment de la prise de vue, et de partager avec le plus grand nombre sa vision de l'instant capturé.

De la philosophie du post-traitement.

Il faut l'avoir en tête, la photo brute n'est pas plus conforme à la réalité "vraie" qu'une photo post-traitée, qu'une photo développée et cela pour 2 raisons au moins.

La première c'est parce que de nombreux facteurs ont d'ores et déjà marqué de leur empreinte le visuel de la photo brute (ou plutôt caractérisée comme telle), sans même que vous vous en aperceviez. En effet, que ce soient par les réglages, qu'ils soient automatiques ou manuels, par l'absence de réglage, ou par la sensibilité de la pellicule pour la photo argentique, chacun de ces éléments, et ils ne sont pas les seuls, modifient le visuel de la photo brute. En ce sens cette photo, pourtant brute, n'est pas le fidèle reflet de la scène visualisée et capturée par le photographe.

La seconde c'est parce que la photo brute n'est pas encore "interprétée" par le photographe. Elle ne correspond donc pas à la réalité de la scène qu'il a visualisée et ressentie au moment précis où il a pris la photo. Ce n'est qu'ensuite, par la phase du post-traitement que le photographe pourra ajuster le rendu final de la photo à la réalité de cette scène telle qu'il l'a perçue au moment du déclenchement. L'exemple le plus explicite pour illustrer cette idée est probablement la photographie noir et blanc (N&B). Les références de la photographie s'accordent pour dire qu'une photo en N&B se conçoit comme telle dès sa prise. Le photographe regarde alors son sujet et son environnement en N&B. Or il est évident, mais peut-être bon de rappeler pour l'exemple, que sauf problème ophtalmologique majeur, le photographe qui shoote en N&B voit bel et bien en couleur et non pas en N&B. C'est donc lorsqu'il pense, qu'il réfléchi et qu'il construit sa photo, que le photographe visualise son cliché en N&B alors qu'il voit "vraiment", en couleur. C'est bien en ce sens que la photo brute n'est pas le fidèle reflet de la réalité de la scène appréciée, ressentie et captée par le photographe.

Ainsi, la photo brute, non post-traitée, pas encore développée, pas encore "interprétée" par le photographe, n'est donc ni la représentation de la réalité "vraie", ni la représentation de la réalité de la scène captée et ressentie par le photographe.

 

La photo "développée" n'est cependant pas non plus le reflet de la réalité "vraie" mais, et c'est de là qu'elle tire toute sa force et sa légitimité, elle montre la réalité de ce qu'a visualisé et ressenti le photographe lors du déclenchement. N'est-ce pas cela le plus important ? A la façon dont le musicien ressent et interprète une partition, le photographe ressent et interprète le monde qui l'entoure, qu'il visualise, qu'il capte, et qu'il immortalise. Interpréter et ressentir, autant de verbes qui indiquent toute la subjectivité qui intervient dans ce processus créatif.

Ainsi, par le rendu de la photo post-traitée qu'il présente, le photographe expose sa propre vision de la scène qu'il appréhende. L'étape du développement lui permet ainsi d'ajuster la photo à son ressenti du moment, au souvenir de la scène visualisée. Car c'est bien de cela dont il s'agit ; la perception d'une scène, à un moment, par un œil, par une personnalité guidée par des émotions et des sensibilités qui lui sont propres. Il n'y a donc pas une photo qui soit la représentation de la réalité. Il n'y a que des photos qui représentent la réalité telle qu'appréhendée par l’œil de chacun, qu'il soit photographe amateur, aguerri ou professionnel.

 

Soyez donc convaincus qu'à chaque fois que vous visualisez une photo retravaillée, post-traitée, développée, peu importe le terme, vous voyez en réalité la réalité à travers l’œil et l'esprit de son photographe, à travers l’œil et l'esprit de quelqu'un d'autre que vous-même. Quoi d'autre le permet ?

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Commentaires: 1
  • #1

    Patoupatate (jeudi, 21 février 2019 14:55)

    Un fort bel article !

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