#5 - Attentats de Paris : 81 500 témoins.

13 novembre 2015, 21h15 environ. La première explosion d'une expédition meurtrière de mercenaires fanatiques retentit dans le Stade de France. Elle marque le début de plusieurs heures de folie dans la capitale parisienne. Stade de France donc, puis les rues des 10 et 11ème  arrondissements ensuite, et enfin le Bataclan et ses 1 500 spectateurs. Cette soirée sans précédent fera 129 morts*, 81 500 témoins et 65 millions de victimes.

Nous sommes un vendredi, un vendredi 13 qui plus est. Assurément un jour de chance puisque j'ai délaissé mon bureau pour une place en tribune nord. Un France-Allemagne nous attend. 11 coqs français contre 11 machines germaniques prêts à en découdre pour un match amical qui ne devrait en avoir que le nom. Il fait beau, ou presque, et nous arrivons sans bouchons, ou presque, dans un lieu qui transpire la culture, ou presque, pour passer une soirée qui sera probablement agréable ... ou presque.

1 minute d'hommage au dévouement.

Cette soirée débute par un hommage rendu aux victimes du crash de l'A320 de la Germanwings, du 24 mars 2015. La détresse d'un copilote suicidaire emportera avec elle 150 innocents dans le fracas de l'avion contre les montagnes de Digne-les-bains. Au delà, c'est en réalité un hommage aux quelques 1 200  personnes qui sont intervenues lors de ce crash, qu'elles soient françaises ou allemandes, professionnelles ou volontaires. Leur présence parmi les spectateurs est applaudie fermement par 78 800 paires de mains. Déjà cette soirée est placée sous le signe de l'émotion. Je suis pourtant si loin d'en imaginer la suite.

90 minutes d'incertitude innocentes.

20h50 le Deutschlandlied allemand est le premier hymne à retentir. 20h55, ferveur collective au moment où la Marseillaise est reprise par la quasi totalité des 80 000 spectateurs de Saint-Denis. Un léger frisson m’envahis. Tous ignorons que c'est contre cette même ferveur et la notion même de liberté à laquelle la France est intrinsèquement liée, que nous nous apprêtons à vivre un des moments les plus effrayants de nos vies. 21h marque le début de la rencontre.

 

C'est vers 21h15 que retenti la première explosion. Sa puissance est sans commune mesure avec ce que je connais. Explosion de colonne d'enceinte ? Pétard de supporter ? Débordements aux abords du stade ? Ce sont les causes les plus probables auxquelles nous pensons tous. Le bruit assourdissant me fait penser à l'éclatement d'un artifice pyrotechnique. Je lève les yeux. Un bleu-blanc-rouge ? En vain. En réalité rien de tout ça ne semble pouvoir vraiment correspondre avec la puissance de l'explosion. Elle n'aura finalement d'égale, a posteriori, que la terreur qu'elle aura su générer. En réalité, je n'ai pas le temps de me convaincre d'une cause à cette explosion qu'une seconde puis, un peu plus tard, une troisième se font entendre. Silence dans le stade. Court silence dans le stade. Lobotomisés, il faut le reconnaître, par le déroulé de la rencontre et par l'ambiance des tribunes, nous oublions collectivement l'inquiétude générée par ces explosions. Le match se poursuit, il n'y a donc rien d'important et l'équipe bleue mène la partie. Il n'en fallait pas plus. Trois hommes se sont pourtant faits exploser à quelques mètres de nous.

 

La seconde mi-temps débute sans qu'aucune information ne soit transmise. Ni la réelle cause de ces explosions, ni le déroulé du scénario macabre qui se joue dans le cœur de la capitale ne parviennent jusqu'à nous. Le match suit son cours. Heureusement. La panique qui nous attend n'a là aussi d'égale que notre étonnement et notre incompréhension lorsque nous apprendrons que nous sommes, à Saint-Denis, 80 000 cibles blacks, blancs, beurs.

 

Nous finirons par triompher de notre adversaire de la soirée, ou du moins de celui que l'on croyait être notre adversaire. Qui l'eut cru. C'est donc ravis par la victoire tricolore que nous nous apprêtons à sortir du stade. Le coup de sifflet final met un terme à la rencontre. Il marque également le début de 90 autres minutes sans précédent. Dès la fin de la rencontre, le speaker évoque la survenue d'incidents pour justifier de la fermeture d'une partie des issues. De façon apaisée et rassurante, il essaiera de préserver le calme de la foule qui vient d'apprendre, quelques minutes plus tôt, qu'une terrible chevauchée a débuté à quelques mètres, et qu'elle se poursuit en ce moment même dans les rues festives de Paris.

5 minutes de panique indicible.

Nous venons d'apprendre que le premier acte de cette soirée de terreur se déroule à nos pieds. Certaines issues sont semble-t-il sécurisées. Pas à pas nous nous en rapprochons. Et c'est dans cette évacuation calme et coordonnée que, subitement, une vague incontrôlée et incontrôlable de spectateurs me submerge et me propulse de nouveau vers l'intérieur du stade. En quelques secondes je suis soulevé de plusieurs dizaines de mètres sans que mes pieds ne réussissent à toucher le sol. Je suis littéralement emporté par cette foule déchainée qui piétine ceux de nous tombés à terre. Puis j'entends : "Ils sont aux pieds du stade ! Ils tirent sur la foule !". Certains se sont fait exploser, d'autres sont peut être encore présents. C'est faux, mais à ce moment nous l'ignorons. Des femmes pleurent, des hommes crient, la foule hurle. 

Je ne comprends plus rien mis à part le fait que je suis séparé de mes proches en quelques secondes. Mon père, accroché à une barrière, m'attrape et m’extrait de cette marée humaine en me tirant par le bras. Nous nous regardons et constatons que ma sœur n'est pas autour de nous. Nous décidons de remonter cette foule quel qu'en soit le risque. Et c'est à cet instant, au plus haut de ce moment de panique généralisée que nous nous retrouvons face à face. Soulagements. Nous distinguerons ensuite 1 puis 2 puis les 4 autres membres de la famille qui nous accompagne. Soulagements. Tremblant de peur, je deviens tremblant de joie, nous sommes réunis. Inquiets, nous continuons de nous écarter de cette foule qui se déverse sur la pelouse. Nous redoutons leur présence parmi nous dans le stade. Aussi, nous faisons le choix de rester dans les gradins, isolés du reste des spectateurs massés au centre de ce rectangle vert qui fait déjà, et en direct, la Une de l'actualité.


Confinés pour éviter d'être confrontés à d'autres explosions, la sensation est indescriptible. Une sorte de gueule de bois instantanée nous envahit : perte totale des repères, nausées, sueurs. Nous resterons confinés, je crois, environ 30 minutes. Le mouvement de panique se calme. Le speaker reprend la parole et nous indique qu'une partie des issues sont sécurisées. Cette fois, nous réussirons à sortir du stade. Malgré tout, nous continuons de scruter et de dévisager chacune des personnes qui nous entoure. Nous regagnons nos voitures. Une seule envie, rentrer rapidement sans savoir ce à quoi nous venons d'échapper. Nous le découvrirons le lendemain matin.

180 minutes hors du temps.

Assurément ce 13 novembre 2015 est la journée la plus terrifiante qu'il m'ait été contraint de vivre. J'espère ne jamais avoir à dire le contraire. Bien entendu, j'ai conscience d'avoir été préservé de l'horreur que tant d'autres ont vécus directement aux abords du stade, au Bataclan, ou dans les rues parisiennes. Faut-il hiérarchiser ? Peut-être, probablement, je l'ignore. Une chose est sûre, tout cela aurait pu être bien pire pour mes proches et moi. Il nous faudra en être bien conscients pour apprécier malgré tout la chance que nous avons eue.

 

Ces quelques lignes crachées dans ce récit sont la simple traduction des souvenirs que j'ai de ce moment. Peut-être que certaines des descriptions sont inexactes, voir même exagérées. Je ne sais pas. Si tel était le cas, vous me le pardonnerez. En tout état de cause, il s'agit de la perception que j'ai eu de ce moment si particulier.

 

Enfin, vous me pardonnerez également j'en suis sûr, le caractère exclusivement descriptif de ces quelques lignes. Les analyses sur ce qu'il s'est passé et se passe, depuis fleurissent. En plus d'en être bien incapable, je préfère les laisser à ceux qui le fond très bien ou qui du moins, pensent le faire ainsi : spécialistes éclairés, et plus encore, amateurs ignorants.


* article rédigé le 14 novembre 2015

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Commentaires: 2
  • #1

    lacotte (mardi, 08 décembre 2015 16:20)

    Ton témoignage est bouleversant et on comprend ce que vous avez ressenti à chaque instant de cette soirée .Nous espérons que ces moments difficiles s'estomperont de vos mémoires pour laisser place à un présent plus serein. Bien amicalement.

  • #2

    Laurane (lundi, 14 décembre 2015 22:25)

    Un récit bouleversant, qui me rappelle malgré tout la "chance" que nous avons pu avoir.

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